Théorie, réalité, modèle by Varenne Franck;

Auteur:Varenne, Franck; [Varenne, Franck]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sciences humaines et sociales
Éditeur: Éditions Matériologiques
Publié: 2012-04-14T16:00:00+00:00

1 - Étymologie et essai de caractérisation

Selon son étymologie, le terme « modèle » vient de l’italien modello, lui-même venant du latin, modulus, qui est un diminutif de modus (mesure) ; il signifie littéralement « petite mesure ». C’est donc d’abord un étalon de mesure, une chose servant comme unité de mesure standard. Le terme module a d’ailleurs la même racine. Le module est utilisé en architecture depuis au moins l’Antiquité. Il est évoqué notamment dans Le Traité d’architecture de Vitruve, au Ier siècle avant J.-C. C’est l’unité de mesure que l’on choisit au départ pour déterminer les proportions et que l’on peut reporter un nombre entier de fois pour chaque longueur caractéristique de la construction. À ce titre, le modèle ou le module est bien en un sens le modèle à suivre : il est prescriptif.

Comme mot de la même racine et de la même famille, on trouve « moule ». Il vient aussi de modulus. C’est encore le modèle à copier puisque le moule est censé matérialiser l’original, ou plutôt la matrice originale d’une statue en bronze par exemple. Mais pour la statue, cela pose déjà une question d’attribution des rôles puisqu’ils ne cessent déjà de s’échanger lors de la production même : ainsi des statues de bronze dans la technique dite de la cire perdue. L’original est sculpté en cire. Il est entouré d’un matériau résistant au métal en fusion (réfractaire) comme la terre ou l’argile, qui jouera ensuite le rôle de moule. Ce moule en terre est percé de deux orifices. L’un sert à l’évacuation de la cire fondue, l’autre à l’introduction du bronze en fusion. Au cours du coulage du bronze, la cire fond. Le moule en terre est ensuite cassé. Le moulage détruit ainsi l’original et il ne reste que la statue en bronze qui est unique puisque non remodelable. Qu’est-ce qui est le modèle ? La cire ? Le moule ? La statue finale ? Voire la personne ou la scène qui a servi de « modèle » ? Et en quel sens ? En fait, le modèle à suivre, comme le mètre étalon, est celui qu’on suppose ne pas être reproductible comme tel (il est unique) mais qui sert en revanche à reproduire. Alors que l’on se représente majoritairement le modèle en science comme la copie elle-même, c’est-à-dire comme le fruit d’une modélisation entendue au sens d’un moulage.

Nous nous intéresserons ici aux modèles qui interviennent dans des pratiques à visées cognitives : essentiellement dans les sciences. Il faut bien entendu être prudent et nuancé, et ne pas prétendre que le recours aux modèles, même dans ce contexte, date du XIXe ou du XXe siècle : les recours aux modèles mécanistes en sciences du vivant et en médecine en particulier sont immémoriaux. Comme le précise Georges Canguilhem (1968) [3] , les termes grecs d’anatomie en témoignent : la « clavicule » est cet os de l’épaule en forme de S et permettant la rotation du bras. Et le terme vient précisément de clavicula qui signifie « petite clé ».

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